Jan Karski de Yannick Haenel
Étrangement pour un roman que l'on pourrait dire historique, presqu'un essai, Jan Karski se lit bien. Il se lit même vite, sans pouvoir le lâcher, la suite nous taraude, et ce, quand bien même l'histoire est connue de tous.
Et pour cause, Karski est l'auteur d'un livre sur son parcours de messager, un messager assez semblable à Cassandre, celle que personne n'a jamais cru ou voulu croire. Et bien sûr, on croise Karski dans Shoah, le film fleuve de Claude Lanzmann (9 heures de film et de témoignages).
Le livre, lui, est composé de trois parties: une première qui revient sur son témoignage dans Shoah, puis un condensé des souvenirs de Karski tels qu'il les écrits dans son livre Story of a secret state, et enfin, une partie romancée.
C'est à ce point que je m'interroge sur la nature de l'ouvrage, étonnamment intitulé roman. Car en fait de roman, Jan Karski ne compte que 70 pages de fiction. Et l'on comprend bien la difficulté de se saisir de l'histoire d'un homme qui se transcende pour devenir l'histoire de l'humanité, qui elle n'en a que le nom («Ce n'était pas l'humanité» répète de nombreuses fois Jan Karski).
Tout au long de ces 3 chapitres, la tension et le malaise montent. Plusieurs passages dans lesquels Karski est dans New York, fantôme entre sa chambre et les cafeterias d'immigrés juifs m'ont rappelé celui qui erre dans Fuck America. Les registres sont différents, mais tout deux s'inspirent de la même veine autobiographique, celle des immigrés juifs d'après-guerre, perdus et abasourdis par l'horreur dont l'homme est capable. On assiste, pudiquement, comme du bout des lèvres, au combat de cet homme pour une reconnaissance, celle de la Shoah, et celle de la résistance des polonais, reconnue enfin...
Comme d'autres témoignages sur cette période, le devoir de mémoire insuffle à ce livre un caractère sacré. L'on ne sait s'il permettra d'espérer un avenir meilleur, mais il est là. Jan Karski est là et dénonce l'horreur à qui veut bien l'entendre.
Un seul bémol peut-être, l'hommage presque trop appuyé à Claude Lanzmann dans la 3ème partie... Yannick Haenel l'admire mais peine à s'en détacher.
Jan Karski de Yannick Haenel, Gallimard/L'infini, 2009